La guerre fait des ravages. Des quartiers entiers de la ville ne sont plus que des monceaux de décombres. La détresse humaine est visible partout. C’est la lutte de tous instants pour la survie. Trouver de quoi subsister est le combat de tous les instants. Pas mieux qu’un personnage central (Marwan) pour témoigner de l’ampleur du désastre qui écrase sa ville.
« Vous pouvez imaginer facilement ce que peut faire un humain quand on l’affame, mais vous ne pouvez pas imaginer de quoi ce même humain est capable lorsque ce sont ses enfants, la chair de sa chair, qui crient famine. Il est prêt à tout. Ce qui s’y est passé est la parfaite illustration de ce que je viens juste de vous dire. Tenues au courant par je ne sais qui d’une arrivée imminente de denrées dans leur région, les gens ont accouru de partout dans l’espoir de se procurer quelques livres de farine ou de riz pour permettre à leurs familles de survivre. L’attente est longue et la foule de plus en plus nombreuse s’impatiente. La crainte d’un retour bredouille à la maison accentue l’irritation et le stress des gens, ce qui est, me semble-t-il, tout à fait compréhensible. Le large boulevard est noir de monde et la nouvelle de l’approche des camions chargés de produits alimentaires se répand parmi la foule comme une traînée de poudre. L’agitation est à son paroxysme et les gens qui s’étaient éparpillées tout au long du boulevard, sur les trottoirs défigurés par les engins destructeurs ou assis en grappes face à la mer où se noient leurs rêves démesurés et où certains désirent se noyer tout court pour échapper une fois pour toutes à leur calvaire qui n’en finit plus, mais qui s’exacerbe jour après jour, se ruent, ivres de faim et de colère, comme des fous, vers des véhicules qui apparaissent au loin. Ils ne veulent pas attendre, alors ils vont chercher au fond de leurs corps meurtris et usés le peu d’énergie qui reste pour courir vers les véhicules bénis qui sont pris d’assaut. La foule immense s’arrache les sacs de farine, certains s’agrippent aux camions en route vers on ne sait quelle destination. C’est au moment où les gens courent devant, derrière, sur les côtés des poids lourds déjà pleins de personnes qui s’accrochent à des sacs de farine comme on s’accroche à la vie, que le malheur, qui épie la scène avec ses gros yeux qui ne quittent jamais notre ciel, frappe de toute sa puissance. Bilan, des dizaines de morts et des centaines de blessés.
Notre sang est encore une fois versé sur cette terre qui n’en peut plus de voir ses enfants tomber les uns après les autres. Elle tressaille et se cabre à chaque fois que ses enfants gémissent et à chaque fois que leur sang se mélange à elle. Elle aurait aimé être plus vaste, avoir de gigantesques et majestueuses montagnes, des grottes immenses pour cacher et protéger les siens, mais elle n’est que cette étroite bande sablonneuse et plate qui n’a que les minarets pour uniques montagnes, mais aussi sa riche histoire et sa dignité qu’elle ne cesse de transmettre à ceux qu’elle porte fièrement. »
Mohamed Arroudj
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